Je suis une femme qui a tout reçu
Et une femme qui a tout perdu
J'ai grandi par ici
Dans un si joli pays
J'avais une famille unie
Et de bien beaux habits
J' ai commencé à danser
Dès que je suis née
J'avais cela en moi
Comme un feu qui rougeoie
J'ai travaillé mes pas
J'ai étiré mes bras
Je suis née pour enseigner
Je suis née pour partager
J'ai parcouru les scènes
Des villes les plus lointaines
J'ai rencontré un homme
Au regard si généreux
J'ai rencontré un homme
Avec qui nous avons joué le jeu
Nous avons été artistes
Nous sommes entrés en piste
Nous avons parcouru le monde
Notre vie sur la mappemonde
Et le ciel s'est assombri
Sur cette terre qui a nous uni
C'est la guerre qui a jailli
Comme un torrent noir dans nos vies
Dans mon cœur elle a tout pris
Dans mon corps elle a trahi
J'ai perdu mon pays
J'ai quitté ma patrie
J'ai perdu ma sœur et mes frères
Je n'ai jamais pu les mettre en terre
Mon dieu, j'ai dû taire
Mes racines, cacher sous terre
J'ai traversé en Afrique, des pays que j'ignorais
Dans des camps en bois scié, nous sommes devenus des prisonniers
J'ai vécu des choses très dures
Qui ont forgé profondément mon armure
J'ai perdu tout espoir
Dans mon cœur il faisait noir
Et pourtant tu étais là
Toi mon ancre dans la nuit
Et pourtant tu étais là
Toi l'homme à qui je me suis unie
Dans ces pays inconnus
Au milieu d'autres âmes perdues
Un enfant nous avons conçu
Un éclair est apparu
C'est la vie qui a grandi
Et qui à nouveau m'a nourrie
J'ai renoué avec la foi
Celle qui défie toutes les lois
J'ai cru pouvoir tout recommencer
Et de nouvelles graines à nouveau semer
J'ai cru que le miracle allait se produire
Et ma famille à nouveau se réunir
De longues années je les ai cherchés
Mes frères et ma sœur que l'on a capturés
De longues années j'ai espéré
Un beau jour recevoir un courrier
Une lettre qui m'aurait dit
Que la mort ne vous a pas pris
Une lettre qui m'aurait dit
Que la vie est un pari
Je n'ai jamais eu la réponse
Qui aurait apaisé mon cœur
Comme des milliers de coups de semonce
J'ai dû enterrer mes pleurs
Mon bébé a grandi
Et j'ai recommencé ma vie
J'ai enseigné le ballet
Dans ce pays qui m'a adoptée
J'ai retrouvé le goût
Des pliés qui rendent fou
J'ai retrouvé la grâce
Des déliés qui s'enlacent
Et pourtant dans mon cœur
J'ai dû cacher ma douleur
Et pourtant dans mon âme
J'ai dû faire taire ce vacarme
Cette rage s'est insinuée
Jusqu'à la pointe de mes pieds
Cette haine a mûri
Dans mon corps endolori
Alors que je croyais enfin trouver
Une certaine forme de sérénité
Des coups de feu ont éclaté
Encore une fois j'ai tout quitté
Nous avons tout laissé
Notre maison, nos papiers
Nous avons même laissé
Notre chien bien-aimé
Et nous sommes repartis
Chez toi, dans ton pays
Tu as retrouvé tes sœurs
Et moi, toute ma rancœur
Comment survivre à tout cela
Tout abandonner une nouvelle fois
Je n'avais plus mes élèves
Mes seules colombes dans cette trêve
Je n'avais plus mon métier
Ma seule véritable identité
J'étais à nouveau devenue
Cette femme indigne dont on ne veut plus
Et même la chair de ma chair
Me traitait de sorcière
Cette petite fille dont j'avais rêvée
M'a repris l'amour que je lui portais
J'étais sa grand-mère
Une femme forte et fière
J'étais sa grand-mère
Une femme qui a souffert
J'étais sa grand-mère
Une femme qui espère
J'étais sa grand-mère
Et j'avais le goût amer
De la terre qui nous enterre
De ces chaines qui nous enferrent
Celles du secret le plus complet
Celles m'ont permis de ne pas m'écrouler
Quand tu liras ceci
Tout te semblera si petit
Quand tu liras ceci
Je ne serai plus en vie
Et pourtant dans ton cœur
Un jour tu n'as plus eu peur
Tu as voulu y croire
Et sortir de ton désespoir
Tu as cherché sans relâche
Tu as creusé à la hache
Un tunnel ancestral
Une quête abyssale
Pour savoir qui je suis
Pour mieux connaître ma vie
Et la vie t'a aidée
A enfin me retrouver
Et la vie t'a aidée
A vouloir me libérer
Du regard mal aimé
Que sur moi l'on a porté
Des horreurs qu'on a dites
Sur moi qui me suis maudite
D'avoir survécu
Alors qu'ils sont morts presque nus
D'être restée en vie
Alors que leur âme on a pris
Et pourtant maintenant
J'entrevois le passage
Et le temps d'un instant
Je disperse les nuages
Les tortures les plus dures
Les ordures les plus pures
Sont parties en fumée
Totalement désamorcées
Car à partir d'aujourd'hui
Tout le monde sait qui je suis
Oui à partir de ce jour
Je laisse parler mon amour
Je suis la fille de Miksa
Je suis la sœur de Marta
Je suis ta Oma
Je suis là pour toi
Et dans ces quelques vers
Ma mémoire tu libères
Avec ces quelques mots
Tu apaises mon fardeau
Tu utilises chaque ligne
Comme une fleur sur mon insigne
Ma beauté tu soulignes
Ma valeur tu dessines
Je suis ta grand-mère
La mère de ta mère
Je suis une femme en or
Car mon nom est Kàldor
Wouaouh ce poème est d'une extrême puissance; une danse voyagée dans le mouvement de la vie de cette grande dame. En tant que lecteur, je sens que cette femme a tant œuvré et tant donné malgré les horreurs de la vie. Il y a des nouveaux souffles de vie qui s'illuminent lorsque les générations suivantes naissent. La métaphore du lotus qui pousse dans le marécage et malgré les tempêtes. A travers ces mots ancrés, elle est enfin reconnue par sa petite fille et tous les autres. Bravo
RépondreSupprimerMERCI beaucoup pour ces mots sensibles qui me touchent énormément ! De les lire ici me donne le sentiment que les mots de la "Femme en Or" remplissent une mission et ouvrent de nouvelles voies...
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